Les Lucs-sur-Boulogne et les Colonnes infernales (2/3)
Elles foncent d'est en ouest, les Colonnes infernales.
Comme Turreau l'a voulu.
Chacun de leurs chefs connaît sa mission : il faut anéantir la Vendée et les Vendéens.
Peu de temps plus tard, Gracchus Babeuf le comprendra le premier en inventant le mot :
On a voulu dépopulationner la Vendée.
La Vendée flambe.
Les Vendéens meurent.
Les responsables rendent compte.
Le général Grignon :
"Cela va bien, nous en tuons plus de cent par jour..."
Le général Cordelier - retenez bien ce nom :
"J'avais ordonné de passer au fil de la baïonnette tous les scélérats qu'on aurait pu rencontrer et de brûler les métairies.
Mes ordres ont été ponctuellement exécutés et, dans ce moment, quarante métairies éclairent la campagne...
J'ai fait passer derrière la haie - cela veut dire fusiller - environ six cents particuliers des deux sexes!...".
Le général Duquesnoy : "J'ai brûlé et égorgé tous les habitants que j'ai trouvé."
L'adjudant commandant Névy : "J'ai brûlé et cassé la tête à l'ordinaire."
On tue.
On brûle.
Les rapports s'accumulent au quartier général de Turreau.
Le général Avril : "J'ai couché les insurgés de Saint-Lyphard par terre au nombre de cent...
Il en a été grillé une quantité dans les brûlis de toutes les maisons du faubourg."
Ces insurgés ont-ils tous pris les armes ?
S'agit-il des "brigands" dénoncés par les textes officiels ?
Nullement.
Ce sont des habitants restés dans leurs villages et qui précisément n'ont pas voulu accompagner au-delà de la Loire ceux qui avaient plus de raisons qu'eux de redouter les Bleus.
Pas de quartier : ce sont les ordres.
Turreau a hésité quant au sort à réserver aux femmes et aux enfants.
Il a cherché à obtenir un blanc seing du Comité de Salut public :
"S'il faut les passer tous au fil de l'épée, je ne puis exécuter une pareille mesure sans un arrêté qui mette à couvert ma responsabilité."
Le Comité a préféré ne pas répondre.
Les témoignages les plus accablants émanent souvent des rangs de l'armée républicaine.
Celui du régisseur général Beaudesson :
"Voulant connaître et m'assurer par moi-même s'il restait encore des subsistances à enlever des maisons éparses çà et là à moitié brûlées, je me transportai dans quelques-unes.
Mais qu'y trouvai-je ?
Des pères, des mères, des enfants de tout âge et de tout sexe, baignés dans leur sang, nus et dans des postures que l'âme la plus féroce ne pourrait envisager sans frémissement.
L'esprit se trouble même en y pensant."
Nombre de ceux qui ont été les artisans de cette monstruosité se sont engagés à l'appel de Danton pour défendre la patrie.
Il y a des paysans parmi ceux qui massacrent ces paysans.
Des artisans parmi ceux qui exterminent les artisans.
Des bourgeois qui tuent d'autres bourgeois et même des nobles pour commander l'extermination de ceux qui se battent pour le Roi.
Ils étaient entrés en Belgique ou en Rhénanie.
On leur avait jeté des fleurs.
On ne les traitait pas comme des conquérants mais comme les ambassadeurs de la liberté.
Maintenant ils éventraient les femmes et embrochaient les enfants à la mamelle.
Pourquoi ?
Peut-être un des acteurs de cette horreur sans nom va-t-il hasarder pour nous l'esquisse d'une impossible réponse.
Il est capitaine.
Il s'appelle Dupuy.
Il appartient
- impossible d'inventer un tel détail - au bataillon de la Liberté !
Il écrit à sa sœur :
"Partout où nous passons, nous portons la flamme et la mort.
L'âge, le sexe, rien n'est respecté.
Hier un de nos détachements brûla un village.
Un volontaire tua ce matin trois femmes.
C'est atroce mais le salut de la République l'exige impérieusement..."
Il a horreur de ce qu'il fait, mais il le fait, parce qu'on lui a dit qu'il fallait le faire.
Et il ajoute : on croit entendre le soupir qu'il pousse alors même que sa plume trace les mots - :
"Quelle guerre !".
Cependant Turreau s'inquiète.
Il a instamment demandé au Comité de Salut public si son plan reflétait bien les intentions de la Convention nationale.
On n'a pas daigné lui répondre.
Il a insisté.
Cette fois avec succès.
On l'imagine décachetant fébrilement le pli scellé aux armes de la République.
Que lit-il ?
Ceci :
"Tu te plains de n'avoir pas reçu du Comité une approbation formelle de tes mesures.
Elles lui paraissent bonnes, et tes intentions pures.
Mais, éloigné du théâtre des opérations, il attend les grands résultats pour se prononcer dans une matière où on l'a trompé tant de fois, ainsi que la Convention nationale."
Ainsi on le jugera selon qu'il aura ou non réussi.
Certes, un peu plus loin, on lui conseille d'exterminer de son mieux les brigands.
Mais, en ce temps-là, les généraux républicains qui échouent sont guillotinés.
Turreau en tire cette conclusion qu'il faut redoubler d'énergie.
Ce qui veut dire de férocité. Brûler, brûler, brûler davantage encore.
Et tuer, tuer, tuer.
Un village - plus que tous les autres - va payer le prix de cette implacable résolution.
Son nom ?
Les Lucs-sur-Boulogne.
Extrait du Discours d'Alain Decaux de l'Académie Française, le 25 septembre 1993.
L'Echansonnerie du Puy du Fou
Installez-vous à la table de Catherine du Puy du Fou pour déguster les mets aux saveurs de la Renaissance.
Avant la révolution française.
Avant la révolution française, la société française est divisée en 3 ordres : le clergé, la noblesse et le tiers état (députés aux États généraux qui représentaient les villes privilégiées).
Cette société d’Ancien Régime, héritée du Moyen-Âge, compose une société inégale.
La France est divisée en provinces, ville et corporations.
Les lois et règlements varient au gré du découpage.
Certains paient l’impôt, d’autres pas.
Avec le Siècle des lumières, les critiques s’élèvent parmi les philosophes.
Avec eux, une nouvelle réflexion voit le jour.
L’individu l’emporte sur la société ; la société ne dépend plus des ordres.
Sous le règne de Louis XVI, les critiques se poursuivent.
La France se trouve affaiblie par les mauvaises récoltes de la fin des années 1780.
Le déficit budgétaire est de 56 millions de livres et la Guerre d’indépendance américaine en est une des principales causes.
Le manque d’unicité des lois se trouve contesté par le tiers état, qui regroupe à lui seul 97 % de la population française.
Des mesures jugées comme vexatoires attisent les tensions 3 mois suffisent à faire effondrer l’ancien régime.
Janvier 1789, face à une situation politique et financière catastrophique, Louis XVI convoque les états généraux.
Cette assemblée réunit les 3 ordres.
Elle peut décider la levée de nouveaux impôts et engager la réforme du pays.
4-5 mai 1789, l’ouverture des états généraux à Versailles marque le début de la Révolution française.
La noblesse est représentée par 270 députés, le clergé par 291 députés et le tiers état par 578 députés.
Clergé et noblesse souhaitent que le vote ait lieu par ordre, assurant ainsi la majorité.
Le tiers état réclame aussi le vote par tête afin de pouvoir débattre en commun.
Devant la résistance du tiers état, clergé et noblesse renonceront à leurs privilèges fiscaux.
Le 10 juin 1789, le tiers état invite les députés du clergé et de la noblesse à les rejoindre.
Quelques membres s’unissent au tiers état.
On assiste ainsi à une révolution à caractère juridique.
Les ordres se fondent en une seule assemblée.
Le 17 juin 1789, le groupe, représentant 96 % de la population française, se proclame "Assemblé nationale".
Il fait acte de souveraineté en matière d’impôt et décide d’élaborer une constitution limitant les pouvoirs du roi.
La souveraineté réside désormais, non plus dans la personne du monarque, mais dans la nation.
Le 20 juin 1789, constatant que les États généraux lui échappent et que la monarchie est contestée, Louis XVI fait fermer la salle de réunion.
L’Assemblée générale se réfugie dans la salle du jeu de paume.
Les députés font le serment de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une constitution pour le pays.
Le 09 juillet 1789, l’Assemblée nationale devient constituante.
Dans la nuit du 04-05 août 1789, on assiste à l’abolition des privilèges féodaux.
Le 26 août 1789, date de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le 03 -13 septembre 1791, l’Assemblée nationale constituante vote la première Constitution mais l’insurrection du 10 août 1792 l’enterre.
Mars 1793, voit le soulèvement Vendéen.
Avec la mort du roi, la convention franchit un nouveau pas dans le cours de la révolution.
Il n’est plus possible de revenir en arrière.
Les divisions s’aggravent entre les révolutionnaires partagés entre Girondin, Montagnard et les sans-culottes et chacun surenchérit sur l’autre dans la course au pouvoir.
Devant la menace qui surgit avec l’entrée en guerre de l’Angleterre, le décret du 24 février 1793, qui institue la levée des 300.000 hommes paraît s’imposer.
Ce décret va devenir l’occasion de la guerre civile au sur de la Loire, connue sous le nom de guerre de Vendée.
Même si ce conflit prend largement naissance en Loire inférieure.
Les exigences amenées par ce décret peuvent paraître limitées.
Chaque département doit envoyer aux frontières, contre les ennemis, de 3 à 4000 jeunes gens choisis par tirage au sort parmi les célibataires de plus de 18 ans.
C’est donc une dizaine d’hommes qui doivent partir de chaque canton.
C’est un faible nombre, mais toutes les communes sont concernées.
Cet effectif doit être choisi parmi les hommes qui ne sont pas déjà gardes nationaux ou volontaires aux armées.
En fait, il faut choisir parmi les hommes qui non pas manifesté d’enthousiasme pour la révolution.
Tout se conjugue pour que les ruraux récalcitrants s’opposent au tirage au sort, au moment où la défense du pays et l’avance rapide de la révolution rendent les Parisiens intransigeants.
La levée des 300.000 hommes provoque des émotions, voire des soulèvements dans tout le pays.
Les Bretons du Finistère, de l’Ille-et-Vilaine et du Morbihan, les Alsaciens, des paysans du Nord et ceux du Puy-de-Dôme sans oublier ceux de la Côte d’Or, manifestent violemment leur refus de participer au tirage au sort et forment des groupes armés qui chassent les patriotes, abattent les arbres de la liberté et parcourent les campagnes.
Pour les Conventionnels, la menace essentielle vient d’abord de Bretagne et de Paris, ils réclament des mesures exceptionnelles contre les insurgées.
La mobilisation en Vendée est forte face au tirage au sort.
C’est le 12 mars 1783 à Saint-Florent-le-Vieil que l’insurrection s’éveille.
Le Voiturier, Jacques Cathelineau se met à la tête de paysans.
Le 19 mars, la Convention vote la peine capitale contre tous les habitants se rebellant. La Révolte grandit encore chez les paysans.
Le mois de mars enflamme toute la Vendée.
En 3 mois, les troupes royalistes passent de quelques dizaines de paysans à 100.000.
Les commissions militaires ont pour objectif de juger "les émigrés pris les armes à la main, ayant servi contre la France".
Dès le début de la Révolution française, les royalistes en mesure de fuir la France s’exilent et trouvent refuge dans le reste de l’Europe.
La définition des ennemis de la république n’aura de cesse de s’étendre à tous les individus hostiles à la république.
Les municipalités sont habilitées à perquisitionner chez les citoyens dont le comportement semble suspect, provoquant ainsi le mécanisme des dénonciations.
Dans un prochain article, le sujet sera "Les commissions militaires de Noirmoutier".
Les Lucs-sur-Boulogne et les Colonnes infernales (1/3)
D'abord il y eut une guerre.
"Une guerre de géants", a dit Napoléon.
Deux grandes armées face à face :
celle de la République et celle du Roi.
Les Bleus qui s'élançaient derrière les trois couleurs, les Blancs dont le drapeau était le Sacré-Coeur.
"Les rebelles se battaient comme des tigres, a dit Kléber, et nous comme des lions".
S'il y eut des morts, beaucoup de morts, c'est surtout au combat.
S'il y eut des massacres - il y en eut beaucoup - c'est autour et à la suite des combats.
Marceau témoigne, comme s'il s'agissait d'une routine :
"Nos soldats en firent une boucherie épouvantable".
Mais la Grande Armée Catholique et Royale ne faisait pas non plus de cadeaux.
Cette guerre-là s'est achevée quand les derniers carrés vendéens furent écrasés à Savenay, les 22 et 23 décembre 1793, par les troupes de Westermann.
A l'intention du Comité de Salut public, et sans ambiguïté, ce général bleu avait dressé l'acte de décès de la Vendée en armes :
"Il n'y a plus de Vendée, citoyens...
Elle est morte sous notre sabre libre.
Je viens de l'enterrer dans les marais et les bois de Savenay...
J'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n'enfanteront plus de brigands.
Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher".
Selon Kléber, la victoire républicaine réduisait les insurgés au désespoir.
De petites bandes de fidèles suivaient encore Stofflet et La Rochejaquelein.
Quelques autres obéissaient à Charette.
Surtout, répétait Kléber, surtout que l'on ne s'avise point de vouloir "ratisser" le pays.
Pour parvenir à la pacification, de simples opérations de police devaient suffire.
Aujourd'hui encore, sa lucidité nous saisit :
"On forcerait tous les paysans de l'intérieur, qui ne demandent plus que la paix, à se réunir en masse, et l'on verrait une nouvelle armée se former dans la Vendée."
On n'a pas écouté Kléber.
Déjà, à Nantes, le représentant Carrier cherche comment vider les prisons trop pleines.
Les noyades sont pour demain.
Et le général Turreau vient d'être nommé à la tête de l'armée de l'Ouest.
Turreau.
Le voilà donc qui entre en scène.
Quand un spectacle frappe le public, il réclame l'auteur.
L'auteur, ici, c'est Turreau.
Une brute militaire ?
Pas même.
Avant la Révolution, ce fils d'un directeur des domaines du Roi s'appelait Turreau de Garambouville.
Il servait aux gardes de Monseigneur le comte d'Artois.
Les idées nouvelles ne semblent l'avoir séduit qu'au printemps de 1791.
Les volontaires qui s'en allaient aux frontières défendre la patrie en danger avaient élu lieutenant-colonel cet homme expérimenté.
Le voilà aux armées du Nord, il passe général de brigade et, un mois plus tard, général de division.
Il sera commandant en chef de l'armée des Pyrénées-Orientales, d'où on l'appellera dans l'Ouest.
Pour le malheur de l'Ouest.
Il a trente-sept ans.
Il connaît la région.
Il y revient pénétré d'une certitude :
toute manifestation d'humanité sera comprise par les insurgés comme une preuve de faiblesse.
D'emblée Turreau va écarter le plan de pacification proposé par Kléber :
"Ce n'est pas le mien !".
Il veut agir selon un texte qui, pour lui, se révèle une bible : le décret pris le 1er août 1793 par la Convention nationale.
Exaspérée parce que les Vendéens l'emportent partout, elle a ordonné que les bois, les taillis, les genêts, les forêts des rebelles seraient détruits, que les récoltes seraient coupées, les bestiaux saisis, les femmes et les enfants déportés dans l'intérieur de la République.
Ce décret, on n'a eu ni le temps ni la possibilité d'en pousser jusqu'au bout l'application.
C'est la tâche que se donne Turreau.
Même il veut aller plus loin.
Le vendredi 17 janvier 1794, aux 102.709 hommes qu'il lâche sur la Vendée, il ordonne :
- Tous les brigands qui seront trouvés les armes à la main, ou convaincus de les avoir prises pour se révolter contre leur patrie, seront passés au fil de la baïonnette.
On en agira de même avec les filles, femmes et enfants qui seront dans ce cas...
Tout ce qui peut être brûlé sera livré aux flammes".
C'est muni de cet ordre terrifiant que douze colonnes vont progresser dans un pays exsangue.
Il ne faudra pas longtemps pour qu'elles méritent le nom dont l'Histoire les a marquées pour jamais :
les Colonnes infernales.
Turreau a proclamé :
"La Vendée doit être un cimetière national." ?
Extrait du Discours d'Alain Decaux de l'Académie Française, le 25 septembre 1993.
Une capture par GROLLERON (Paul-Louis)
GROLLERON (Paul - Louis)
Né à Seignelay en 1848, mort à Paris en 1901.
Elève de Bonnat.
Peintre de genre, se spécialise dans les scènes de guerre de 1870.
Succès de ses toiles au Salon.
Décide de se consacrer uniquement à la peinture militaire.
Huile sur toile, 1888 est d'une hauteur de 3,23m et une largeur 4,13m
Dans un paysage de lande, quatre hommes sont réunis à proximité d'un feu.
Trois d'entre eux sont revêtus du costume des Chouans.
Tous regardent dans la même direction, mais le personnage qui se tient debout à droite apostrophe l'homme qui est à l'écart.
Ce dernier est vêtu du costume républicain.
Il vient probablement d'être fait prisonnier par les Chouans.
D'ailleurs son chapeau et son sabre gisent encore au tout premier plan.
Au second plan, un personnage assis sur un rocher regarde vers le lointain et agite la main dans laquelle il tient un mouchoir.
Le paysage, avec ses rochers qui affleurent et sa végétation pauvre, ainsi que la mer à l'horizon, évoquent en fait la Bretagne.
Cette œuvre ne traite donc que d'un épisode anecdotique, voire banal, de la guerre.