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22 juin 2020

Les tisserands

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Lorsque je passais dans la petite ruelle qui me conduisait chez ma grand-mère, j'étais toujours intrigué par le travail des tisserands.
Dans cette impasse on en voyait presque toutes les portes.
Une fois, je m'étais arrêté pour regarder à travers les carreaux d'une petite fenêtre.
Le tisserand, un homme assez âgé, me reconnut.
Il sortit et me dit : "Entre petit, Viens voir de plus près".
Alors devant moi, je découvris un étrange assemblage de pièces de bois sur lequel s'enroulait des fils.
Avant d'aller reprendre sa place, le tisserand me disait encore :
"Ecoutes, petit.
Cette chemise que tu portes a appartenu à ton grand-père.
C'est ici qu'on a fabriqué le tissu.
Tiens, tu vois aujourd'hui, j'achève une paire de drap, pour tes parents".
Emerveillé, je l'écoutais et le regardais attentivement, installé à côté de lui, sur un petit banc, devant tous les fils tendus.
Depuis ce jour, le métier de tisserand n'eut plus de secret pour moi.
J'allais souvent de voir travailler dans son atelier étroit, au plafond bas, éclairé par une seule fenêtre.
J'aimais rester des heures, près de lui.
J'aurais bien voulu l'aider à étendre les fils de chaîne sur le métier, mais j'étais trop petit et l'opération trop délicate.
Un tisserand voisin et ami venait l'aider de temps en temps.
Le calcul de la longueur du fil, pour chaque pièce, n'était pas un problème pour lui.
Il fallait le voir, de sa main droite, envoyer la navette entre les deux nappes de fils régulièrement serrés les uns contre les autres.
Après un déclic bruyant, du battant qui tassait la trame, la main gauche renvoyait la navette dans laquelle une canette, à chaque allé et venue, se dévidait d'une largeur de la pièce.
Le travail du tisserand s'accomplissait à la même allure et les lisières du tissu qu'il confectionnait étaient toujours parfaites.
Les journées étaient longues…
Je me souviens… il se levait parfois dès trois heures de matin et lorsqu'il venait prendre un petit déjeuner avec sa famille, il aimait dire :
"Ce matin, j'ai fabriqué une aune de toile avant de venir".
Chaque dimanche dans l'après-midi, il s'en allait dans la campagne porter son travail de la semaine.
Je le voyais parti son rouleau de toile sur l'épaule droite.
Un bâton, sur son mouchoir à l'épaule gauche, l'aidait à supporter son lourd fardeau.
Dans les fermes, précédant la couturière, le tisserand était toujours attendu.
Il recevait un accueil qui souvent l'obligeait à accepter le partage de la table.
Le jambon, l'omelette… arrosés d'un vin très apprécié d'une année à l'autre.
Mais auparavant, il devait, avec la ménagère attentive, mesurer la toile qui demain allait devenir nappe, essuie-mains et "berne".
Les armoires étaient-elles bien garnies ?
Ne fallait-il pas chaque année prévoir une paire de draps épais un peu rudes entre lesquels le paysan se reposait si bien de ses fatigues de la journée.
Avant de repartir, selon la coutume, la fermière recevait un "bouchon de vaisselle" confectionné avec le surplus ou le reste des fils de coton.
Dans certaines communes, autrefois, on comptait beaucoup de tisserands.
Des valets de ferme dans les hameaux travaillaient sur le métier à tisser durant la mauvaise saison. Le reste du temps, ils reprenaient les travaux des champs.
Cela me fait plaisir de voir aujourd'hui des jeunes qui font revivre les métiers à tisser…
Ils y retrouvent la même joie de créer et d'accomplir les mêmes gestes que les tisserands d'antan.

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