D'abord il y eut une guerre.
"Une guerre de géants", a dit Napoléon.
Deux grandes armées face à face :
celle de la République et celle du Roi.
Les Bleus qui s'élançaient derrière les trois couleurs, les Blancs dont le drapeau était le Sacré-Coeur.
"Les rebelles se battaient comme des tigres, a dit Kléber, et nous comme des lions".
S'il y eut des morts, beaucoup de morts, c'est surtout au combat.
S'il y eut des massacres - il y en eut beaucoup - c'est autour et à la suite des combats.
Marceau témoigne, comme s'il s'agissait d'une routine :
"Nos soldats en firent une boucherie épouvantable".
Mais la Grande Armée Catholique et Royale ne faisait pas non plus de cadeaux.
Cette guerre-là s'est achevée quand les derniers carrés vendéens furent écrasés à Savenay, les 22 et 23 décembre 1793, par les troupes de Westermann.
A l'intention du Comité de Salut public, et sans ambiguïté, ce général bleu avait dressé l'acte de décès de la Vendée en armes :
"Il n'y a plus de Vendée, citoyens...
Elle est morte sous notre sabre libre.
Je viens de l'enterrer dans les marais et les bois de Savenay...
J'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n'enfanteront plus de brigands.
Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher".
Selon Kléber, la victoire républicaine réduisait les insurgés au désespoir.
De petites bandes de fidèles suivaient encore Stofflet et La Rochejaquelein.
Quelques autres obéissaient à Charette.
Surtout, répétait Kléber, surtout que l'on ne s'avise point de vouloir "ratisser" le pays.
Pour parvenir à la pacification, de simples opérations de police devaient suffire.
Aujourd'hui encore, sa lucidité nous saisit :
"On forcerait tous les paysans de l'intérieur, qui ne demandent plus que la paix, à se réunir en masse, et l'on verrait une nouvelle armée se former dans la Vendée."
On n'a pas écouté Kléber.
Déjà, à Nantes, le représentant Carrier cherche comment vider les prisons trop pleines.
Les noyades sont pour demain.
Et le général Turreau vient d'être nommé à la tête de l'armée de l'Ouest.
Turreau.
Le voilà donc qui entre en scène.
Quand un spectacle frappe le public, il réclame l'auteur.
L'auteur, ici, c'est Turreau.
Une brute militaire ?
Pas même.
Avant la Révolution, ce fils d'un directeur des domaines du Roi s'appelait Turreau de Garambouville.
Il servait aux gardes de Monseigneur le comte d'Artois.
Les idées nouvelles ne semblent l'avoir séduit qu'au printemps de 1791.
Les volontaires qui s'en allaient aux frontières défendre la patrie en danger avaient élu lieutenant-colonel cet homme expérimenté.
Le voilà aux armées du Nord, il passe général de brigade et, un mois plus tard, général de division.
Il sera commandant en chef de l'armée des Pyrénées-Orientales, d'où on l'appellera dans l'Ouest.
Pour le malheur de l'Ouest.
Il a trente-sept ans.
Il connaît la région.
Il y revient pénétré d'une certitude :
toute manifestation d'humanité sera comprise par les insurgés comme une preuve de faiblesse.
D'emblée Turreau va écarter le plan de pacification proposé par Kléber :
"Ce n'est pas le mien !".
Il veut agir selon un texte qui, pour lui, se révèle une bible : le décret pris le 1er août 1793 par la Convention nationale.
Exaspérée parce que les Vendéens l'emportent partout, elle a ordonné que les bois, les taillis, les genêts, les forêts des rebelles seraient détruits, que les récoltes seraient coupées, les bestiaux saisis, les femmes et les enfants déportés dans l'intérieur de la République.
Ce décret, on n'a eu ni le temps ni la possibilité d'en pousser jusqu'au bout l'application.
C'est la tâche que se donne Turreau.
Même il veut aller plus loin.
Le vendredi 17 janvier 1794, aux 102.709 hommes qu'il lâche sur la Vendée, il ordonne :
- Tous les brigands qui seront trouvés les armes à la main, ou convaincus de les avoir prises pour se révolter contre leur patrie, seront passés au fil de la baïonnette.
On en agira de même avec les filles, femmes et enfants qui seront dans ce cas...
Tout ce qui peut être brûlé sera livré aux flammes".
C'est muni de cet ordre terrifiant que douze colonnes vont progresser dans un pays exsangue.
Il ne faudra pas longtemps pour qu'elles méritent le nom dont l'Histoire les a marquées pour jamais :
les Colonnes infernales.
Turreau a proclamé :
"La Vendée doit être un cimetière national." ?
Extrait du Discours d'Alain Decaux de l'Académie Française, le 25 septembre 1993.