Le Mémorial de Vendée.
Au début de 1794, le général Turreau qui commande l’armée de l’Ouest a reçu de la Convention instruction d’en finir avec la Vendée.
Il va alors lancer ses troupes sur une population que la défaite a privée de ses défenseurs, avec pour mission de tout exterminer.
Il est prévu cependant d’épargner treize localités qui serviront de points d’appui.
Tout le reste sera incendié.
La population devra être anéantie quel que soit le sexe, l’âge ou l’opinion.
Le 28 février 1794, le général Cordelier, qui commande l’une des colonnes infernales, avance vers le village des Lucs-sur-Boulogne, et fait déployer ses soldats en éventail.
Le curé se présente pour protéger ses paroissiens et on lui arrache la langue, puis le cœur, comme le rappelle la tradition.
Des villageois s’étant réfugiés dans l’église, y sont massacrés.
Bien que les douze colonnes "infernales" de Turreau aient brûlé en Vendée des centaines de bourgs et villages, des milliers de fermes isolées, détruit les moulins à vent et les fours à pain, empoisonné les puits, l’épisode horrible des Lucs-sur-Boulogne est emblématique du martyre vendéen.
Aussi le Conseil général de la Vendée a-t-il choisi cette commune pour y élever un mémorial, qui est à la fois le chemin de la mémoire et un mausolée.
Mausolée austère, d’une grande simplicité, à l’architecture minimaliste d’un ton uniformément gris.
Bâtiment compact et aveugle puisqu’il s’agit en quelque sorte d’un reliquaire, d’un lieu de recueillement.
À l’intérieur du bâtiment, cinq salles qui ponctuent ce lieu de mémoire et l’évocation de l’anéantissement de la Vendée.
Dans le pavillon d’accueil, deux vers du poète Pierre-Emmanuel révèlent le sens profond du lieu.
"Tu nous as donné ces morts en héritage, nous sommes devenus les pères de nos Morts".
Pierre EMMANUEL
Et c’est après avoir lu ces lignes inscrites sur le mur d’entrée et franchi le monumental portail du Chemin de la Mémoire des LUCS SUR BOULOGNE que le visiteur sort du temps.
Le retour vers le passé commence par l’Allée de l’Histoire.
Plusieurs panneaux rappellent les grandes étapes de l’insurrection de 1793, comme autant de jalons qui mènent au drame de 1794.
À côté de chaque texte, des portraits de Vendéens accompagnent cette chronologie, nous révélant les traits de quelques survivants tels que les a dessinés en 1826 Lucie de la ROCHEJAQUELEIN.
À observer l’expression de ces visages simples et pleins de caractère, on ressent à quel point ces héros furent d’abord des êtres de chair et de sang, semblables à bien d’autres, qui ont vécu et souffert.
Souffert, comme le montre la suite du parcours…
À contempler les formes carrées du Couloir de la Mémoire, bloc recouvert de plaques de granit qui chevauche la Boulogne, on pense à un monument funéraire.
Cette simplicité étant due aux victimes d’un massacre.
À l’intérieur, la musique, l’éclairage, les sculptures et la disposition des souvenirs invitent au recueillement et à la réflexion, dans une atmosphère complètement intemporelle, où objets d’époque et œuvres contemporaines semblent sortis de l’éternité pour raconter la même histoire.
Au sol, une plaque de cuivre rappelle que le Mémorial a été inauguré le 25 septembre 1993 par Alexandre Soljénitsyne.
D’emblée, la petite flamme du souvenir qui brûle face au portail d’entrée évoque le souffle de la vie et progressivement, de salle en salle, le visiteur est conduit à se remémorer les faits (extraits du martyrologe du curé BARBEDETTE puis diaporama évoquant les massacres) et à méditer sur les symboles et sur les textes.
Dans la troisième salle, disposés sur chaque mur, Sacrés-cœurs, petits cœurs en creux ou en relief sur une étoffe, chapelets, chapeau rabalet des paysans de 1793 troué par les balles, faux à la lame retournée, quelques outils devenus armes de combat entourent l’ostensoir en carton utilisé pour le culte clandestin des prêtres réfractaires.
Ces objets de la vie quotidienne des Vendéens sont devenus ceux de la clandestinité et de la guerre, symboles de l’âme d’un peuple en révolte.
La salle suivante fait antithèse.
De part et d’autre de la rivière sculptée par Benoît Luyckx, qui est à la fois la Boulogne et la Loire, où périrent de nombreux Vendéens, devant un rideau de genêts évocateur du bocage, s’alignent les textes qui attestent la volonté d’anéantissement de la Vendée et qui nous interrogent.
À la grandeur de la cause vendéenne répondent le sectarisme, le cynisme ou l’inconscience révolutionnaire.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Préméditées ou pas, les horreurs ?
Les textes exposés, de quelques manières qu’on les interprète, font écho aux paroles de SOLJENITSYNE sur les révolutions.
Au centre, la silhouette décharnée d’un couple de Vendéens est l’œuvre de Jacky Besson.
Puis vient dans la dernière salle, à la crypte, le temps du recueillement.
Une simple croix blanche, à la manière des croix de chaux au-dessus de la porte des fermes vendéennes, sur le mur, surplombe plusieurs alignements de bâtons en schiste sculpté, plantés dans le sol.
Leurs différentes tailles représentent les différents âges de la vie, tous sacrifiés, et leur grand nombre, le grand nombre des victimes.
Cette crypte moderne est entourée d’un péristyle dans lequel la lueur pâle des lampes, derrière des vitrages carrés et opaques, invite au recueillement.
Le Vexilla regis, cher aux combattants vendéens, est recomposé dans une musique originale.
À la sortie, un mur calciné (conçu par le sculpteur Pierre Culot), au pied du petit bois, évoque, comme l’explique le livret distribué aux visiteurs, "la destruction des habitations au pied de la déchirure végétale, symbole des terres incendiées"…
Le visiteur peut désormais pousser la haute porte de bronze pour découvrir, en franchissant la Boulogne, ce lieu de mémoire.
Le sentier mène ensuite au but ultime du pèlerinage, la chapelle de 1867, qui surplombe le site à l’emplacement des ruines de l’ancienne église du Petit-Luc, incendiée en 1794.
Les murs de la chapelle néogothique Notre-Dame des martyrs du Petit-Luc sont tapissés de plaques où est gravée dans le marbre la liste interminable des victimes recensées (564) sur les lieux par le curé Barbedette.
Le sol est souvent couvert d’un cœur de fleurs, émouvant hommage à la mémoire des enfants martyrs.
Mais en tout temps, le visiteur pourra méditer une des phrases inscrites aux alentours de la chapelle.
Retenons celle-ci ; elle est de CHATEAUBRIAND : "Ce n’est pas tuer l’innocent comme innocent qui perd la société, c’est le tuer comme coupable".
Il est important de souligner que tout ce parcours de la mémoire, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du bâtiment, est entièrement libre.
Pas de guichet d’entrée, pas de billet d’admission, cela pour bien marquer que ces lieux ne sont pas un musée, ni une curiosité, mais une trace indélébile du souvenir.