Puy Story
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15 mars 2024

Le repas du paysan.

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L'épais brouillard qui couvrait la campagne n'avait pas disparu en cette fin de matinée d'octobre.
Pas un rayon de soleil, pas une ombre ne pouvaient indiquer l'heure du repas aux valets de la ferme qui labouraient le grand champ du Bois.

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Mais le creux de leur estomac disait qu'il était temps de laisser reposer les trois paires de bœufs et de regagner la ferme toute proche.
Le maître les attendait dans la cour pour prendre le repas avec eux.
Le temps de se laver les mains dans la même eau au creux d'une pierre en granit et tous allaient se retrouver autour de la grande table massive au milieu de la cuisine.
Je revois ces hommes au visage basané et hirsute, revêtus chacun d'un pantalon rapiécée et d'un paletot toujours déboutonné.

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Ils entraient dans la pièce en traînant leurs lourds sabots sur le sol de terre battue.
À l'extrémité de la table, le maître s'installait à la place d'honneur et tous s'asseyaient sur un banc après lui.
Il servait la soupe fumante et après avoir signé le gros pain des huit livres, il le distribuait autour de lui.
La tête penchée au-dessus de l'écuelle, on mangeait presque toujours en silence.
De temps en temps, les hommes buvaient au même pichet un vin clair de la dernière récolte.
Je n'aimais pas ces heures de repas….

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Les hommes mangeaient seuls et jamais les femmes et les enfants ne s'attablaient pas pour manger avec eux.
Nous devions toujours attendre la fin des repas.
Quand le maître avait refermé son couteau, quand il s'était levé, tous les domestiques en faisaient autant.
Et pendant qu'ils sortaient, la tâche était distribuée à chacun pour le reste de la journée.
Ravigotés par ce repas, ils retournaient sans répit à leur travail.
Avec mes frères, nous allions porter la collation aux moissonneurs, pendant les durs travaux de l'été.
Quand le soleil allongeait l'ombre des arbres, à l'orée du champ, ils retrouvaient l'appétit avec de la mogette, un morceau d'andouille et de pâté.

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Une abondante "trempine" faite de pain et de vin rouge sucré venait apaiser leur soif.
Souvent, nous restions goûter avec eux, car ils aimaient bien, faire partager les galettes de blé noir.
Je me souviens de ces soirs où dans la cuisine régnait une forte odeur de soupe aux choux que l'on servait régulièrement accompagnée de la mogette à tous les repas.
La viande était rare en semaine.
Quelquefois, on disposait sur la table un peu de charcuterie et du jambon.. ou même un lapin de garenne prit au collet rendait le menu plus copieux !!

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Les repas se terminaient presque toujours avec le fromage blanc de la ferme.
En hiver, c'était la bouillie de farine.
En été, le soir, on savait apprécier le caillé ou le traditionnel laitage fait de mil et que l'on distribuait aux amis pendant le temps de la moisson.
J'ai toujours gardé en mémoire ces crèmes fouettées que faisait ma grand-mère avec les œufs de perdrix découverts au printemps dans un champ de trèfle ou de seigle.

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Ainsi donc, chez nous, toute l'année, les produits de notre récolte pouvaient suffire à notre nourriture.
Elle n'était peut-être pas très variée, car à la ferme, on tirait profit légumes de saison.
Et puis, on ne jetait jamais rien.
Le matin, avant le "pansage" pendant que les femmes "passaient" le lait, les hommes mangeaient les restes de choux verts réchauffés avec de la crème.
Et que dire du pain de six, huit ou douze livres, pétri, fermenté et cuit dans le fournil ?

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Avec la croûte épaisse et dure, il pouvait attendre la prochaine fournée, trois semaines plus tard.
J'appréciais beaucoup notre pain de ménage.
Il sentait bon la fleur de farine.

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Dans les fermes avoisinantes, on n'en faisait pas de meilleur.
Et puis n'était-il pas le symbole de tout notre travail ?

J. Maupillier (Garde)

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