4. A la tribune d'honneur
Que l'attente paraît longue ...
Guillemette ne tient plus en place depuis le triomphe de son Jehan.
Penser qu'elle sera dans la "Tribune d'Honneur" lors du Tournoi de Pâques, la prive du sommeil, lui fait perdre le boire et le manger...
Jehan affecte un air détaché...
Mais, lui aussi, bout d'impatience !
Le grand jour arrive...
Enfin !
Nos deux tourtereaux se rendent au château et leurs yeux s'émerveillent.
Le pourtour des lices est décoré d'écussons à devises, d'emblèmes et de bannières flottantes.
Dans les contre-lices où se pressent valets, pages et hommes d'armes, les quatre maîtres de camp ont pris place.
Ce sont eux qui donnent les ordres et veillent au bon déroulement des épreuves.
Dans les tribunes tendues de tapisseries, les dames arborent des toilettes chatoyantes.
Guillemette se sent un peu déplacée dans sa simplicité.
Elle porte sa robe de mariée...
C'est la plus belle parure de son trousseau !
Mais elle oublie bien vite ses préoccupations...
Les trompettes retentissent.
Les hérauts s'avancent dans l'arène et rappellent les règles.
Tout combat doit cesser au premier sang.
Les chevaliers font leur entrée sous les regards admiratifs des jouvencelles et ceux, plus envieux, des jouvenceaux.
Un casque à visière, orné d'un somptueux panache, dissimule leur visage.
Leurs armures ciselées et damastiquées, les caparaçons de leurs chevaux ne portent qu'une seule couleur :
celle de la Dame de leurs pensées.
Si la Dame partage les sentiments de son champion, elle lui jette une manche de sa robe qu'il fixe fièrement à sa lance...
Ainsi se dévoilent les idylles et s'affichent de tendres inclinations...
Guillemette s'aperçoit soudain que la jeune Isabeau, la fille du Seigneur du Puy du Fou, a offert sa jolie manche safran à un chevalier harnaché de rouge...
Le Maître fronce le sourcil, lui semble-t-il...
Si jamais le jouteur remporte toutes les épreuves, le Seigneur devra lui accorder la réalisation d'un souhait, quel qu'il soit...
Bien embarrassant...!
La jeune femme est arrachée à ses pensées car le tournoi commence...
Les combats à la lance, à la lourde épée sans tranchant, à la hache de guerre et à la pique se succèdent, opposant toujours deux adversaires.
Au moindre signe de violence, les maîtres de camp les séparent.
Il importe de respecter la plus grande courtoisie.
Le Chevalier Rouge résiste...
Il élimine tous ceux qui s'opposent à lui…
Le Seigneur a la mine sombre.
Il ignore qui se cache sous le heaume...
La tradition veut que seul le vainqueur final se dévoile.
Il reste, toutefois, une ultime épreuve "la Quintaine".
Toute l'assistance se déplace vers la vaste prairie, au pied du château...
Guillemette frémit en se souvenant des souffrances endurées par Jehan.
La quintaine est dressée...
Elle est plus haute que celle des vilains puisqu'il faut l'assaillir à cheval...
Elle est formée de plusieurs hauberts recouverts d'écus.
Il faudra, en cinq coups, percer les écus de part en part, démailler les hauberts et, même, arracher de terre le poteau.
Rude tâche…!!
Guillemette voit les mains d'Isabeau se joindre en une prière muette, lorsque son champion s'élance...
Les spectateurs, silencieux, oppressés, retiennent leur souffle...
Tous les regards convergent vers l'imposant mannequin.
Au premier assaut, le jeune homme empêtre sa lance dans les mailles des cottes et vide les étriers ...
Heureusement sans dommage !
Il prend un nouvel élan et la quintaine vole en éclats sous les acclamations de la foule... Isabeau rayonne ...
Le Chevalier Rouge s'approche de la Tribune d 'Honneur...
Il va montrer son visage et exprimer sa requête...
La visière se soulève et apparaît le regard triomphant de Hugues, le fils du Seigneur voisin...
Le Maître sourit... avec soulagement.
Il accède avec grâce à la demande du vainqueur : hâter ses noces avec Isabeau, qui lui est promise depuis l'enfance.
L'assistance applaudit à cet heureux dénouement et se précipite vers les longues tables où un plantureux banquet aiguise les appétits...
Ensuite, viendront les ménétriers et l'on dansera...
Demain sera un autre jour...
Demain, mais seulement demain, reviendront les rudes contraintes de la vie quotidienne ...'