3. Histoire du Village des Ouches (3/5).
Comme Thibaud, tout à ses pensées, approchait des Ouches, il fut surpris par une agitation fébrile autour du village.
Il se souvint.
C'était la Saint Martin et un cortège bariolé s'étirait vers le château.
C'était le jour des redevances.
Ce mois de Novembre, particulièrement clément, donnait à la procession une allure de fête champêtre avec ses odeurs, ses cris et rires.
Le grognement des porcs, le caquètement des poules et le bêlement des agneaux créaient un joyeux brouhaha.
Le parfum du vin tout juste pressé s'alliant à l'odeur forte du fromage de brebis. Sur des charrettes, tirées placidement par des bœufs, cahotaient au rythme des ornières, des sacs d'avoine, de froment et d'orge.
Sur d'autre s'élevaient des rangées de bois fendu, larges de deux brassées.
Des paniers débordaient d'œufs, de noix et de pommes.
Les anguilles, pêchées du jour, s'agitaient encore au fond des nasses en osier.
Dans la grange du château, le chambrier, Maître Denis, chargé de gérer les deniers du domaine, attendait que les paysans se rassemblent pour faire l'appel des taxes.
Thibaud se glissa dans la foule et observa.
Enfin, Maître Denis consulta son inventaire et commença :
"Jean, pour une vergée de terre, huit sous, un denier et un chapon"
"Gilles, pour cinq vergées de terre, quarante sous, sept deniers et un agneau ... "
et le défilé continua.
Ce fut le tour de père :
"Pierre, pour trois vergées de terre, vingt quatre sous, cinq deniers et trois volailles".
Pierre savait qu'il devait cela au seigneur Renaud.
Certes, la charge était lourde.
Mais la protection du château n'était-elle pas inestimable ?
Il se souvenait de la dernière incursion des Ecorcheurs.
Il y avait trois ou quatre ans.
Un enfant avait été enlevé et Pierre revoyait encore sa dépouille sanglante, parce que la rançon était venue trop tard.
Le seigneur avait réagi.
les Ecorcheurs avaient été pris et, pour l'exemple, pendus à la chemise du château jusqu'à ce que les corbeaux dévorent leurs cadavres.
Depuis tout était calme et le pays du Puy du Fou vivait en paix.
Alors, mieux valait accepter les redevances !
Thibaud rejoignit son père et tous deux regagnèrent le logis familial.
Comme toutes les masures du village, la leur était construite de lattes de bois et de torchis.
Les murs épais ne s'ouvraient que sur de très petites ouvertures, fermées de volets. Pierre et Thibaud pénétrèrent dans l'unique pièce où bêtes et gens cohabitaient.
La lueur de l'âtre éclairait le mobilier sommaire : deux grands lits, une table à manger, des bancs, le coffre renfermant le linge.
La mère les attendait avec les deux petits : Jacques et Claire.
Elle décrocha la marmite et servit la soupe de chou et de lard, trempée de pain.
Quand chacun fut servi et que la prière fut dite, les fronts se penchèrent, les cuillères plongèrent dans le liquide bouillant et le repas se déroula lentement, silencieusement.
Thibaud réfléchissait.
Il se demandait comment annoncer à la famille sont intention d'épouser Guillaumette.
Soudain, il parla :
"Père, j'ai rencontré une jeune fille, je l'aime et je crois qu'elle me le rend bien.
Je veux en faire ma femme.
Elle est encore plus pauvre que moi, mais je ne pourrai pas vivre sans elle".